Au petit matin du 17 février 1905, c’est, paradoxalement, par un silence inhabituel que sœur Maria del Corason de Jésus est tirée de son sommeil. Consciente qu’il semble se produire quelque chose d’inhabituel, elle sort de son alcôve, un rosaire à la main.
Une lumière bleue baigne la pièce, et, dès le seuil franchi, les grains du chapelet éclatent en tous sens avec un bruit sec de détonation. Poussée par une force irrépressible, la religieuse tombe à genoux, et il s’en faut de peu qu’elle perde connaissance. Dans les instants qui suivent, elle se sent comme prise d’une forte fièvre. Elle claque des dents, toute énergie l’abandonne.
Et soudain, elle prend conscience qu’elle se trouve dans une position absurde, toujours agenouillée, mais à deux mètres du sol, sa tête touchant presque le plafond. Elle tente de se signer, d’articuler une prière, mais rien n’y fait, elle est totalement paralysée, incapable de faire le moindre geste, d’articuler le moindre son. Alors qu’elle est dans cette position peu confortable, une étrange scène se matérialise devant ses yeux : une vision très réaliste et détaillée de la Sainte Famille.
Marie tient dans ses bras l’enfant Jésus, et saint Joseph se tient stoïque à leur côté. Toutefois, il y a des éléments troublants, que la religieuse ne tarde pas à remarquer : le visage de la Vierge tourne au rouge brique, et un sourire mauvais découvre peu à peu ses dents. Joseph, quant à lui, semble être soudainement entré en putréfaction : il manque des morceaux, et sous les lambeaux de chair, on entrevoit les os.
C’est alors que se produit le plus remarquable dans le récit de la religieuse : l’enfant Jésus, qui n’est qu’un nourrisson, s’adresse à elle, directement dans sa tête, selon sa propre expression. D’une voix claire et puissante .”Tu es à genoux devant ton Dieu” dit-il “et tu ne dois adorer que lui ! Tu es une mauvaise femme, que j’exècre, comme j’exècre ton Dieu mauvais ! Ton âme n’est pas digne que je l’emporte avec moi, comme j’emporte celles de ces tout petits qui peupleront éternellement le Royaume. Ma mère,(dit il en jetant un regard affectueux vers celle qui était maintenant tout à fait écarlate,) la Señora de las Angustias, les couvrira de son amour maternel ! Quant à toi, sois maudite, comme le figuier stérile. Tu ne connaîtras pas la paix, jusqu’au sépulcre ni au delà si tu n’abandonnes ton Dieu usurpateur et tes fausses croyances. Car,en vérité, je te le dis, Je suis la Lumière et la Vie. ”
C’est alors que s’effaça la scène tout entière, et que la religieuse retomba lourdement sur le sol, sa tête heurtant au passage le montant métallique d’un châlit.
Le traumatisme avait apparemment été assez violent, car elle fut trouvée inanimée, baignant dans son sang, et ce n’est qu’après deux ou trois semaines qu’elle retrouva peu à peu ses esprits. L’enquête, si l’on peut parler d’une enquête, était close, et lorsque la pauvre femme tenta avec force conviction d’apporter son témoignage, l’ensemble de ses propos fut mis sur le compte d’un délire post traumatique. La mère supérieure lui ordonna le silence, lui intimant de cesser ses blasphèmes, sous peine d’être internée chez les fous !
Ce n’est donc qu’à la fin de sa vie, trente ans plus tard, qu’elle osa se confier au père Ignacio. Lequel fut lui-même vraisemblablement saisi d’un doute, puisque sa longue lettre , jamais envoyée, resta à l’état de brouillon. Plusieurs passages ont été biffés, de nombreuses notes difficilement lisibles ajoutées dans les marges. Il est à noter que l’on y distingue au moins deux fois le mot Camocruz !
C’est la seule mention connue à ce jour de ce nom en dehors du territoire français. Il semblerait qu’une même tradition ait pu s’étendre d’un côté à l’autre des Pyrénées. Une rapide enquête menée à ce sujet dans la campagne espagnole auprès de vieilles personnes n’a donné aucun résultat.
Si l’on accorde crédit au récit de la religieuse, en 1935 ,trente ans après les tragiques événements, il semble qu’un pan du voile commence à se lever.
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